Le livre de poche (Albin Michel 2008) - 508 pages
Le début du livre donne le ton :
"C’était notre terre.
Quand je dis que c’était notre terre, je veux dire que nous ne l’avions pas volée, que nous en avions rêvé au temps de nos ancêtres, et que l’Etat français nous avait permis de concrétiser nos rêves en nous vendant une bouchée de pain six cent cinquante-trois hectares de bonne terre africaine
Te souviens-tu, Henri ?
Six cent cinquante-trois hectares réservés à notre seul usage, ça fait beaucoup de collines, de vallées, de bouquets d’agaves et de lentisques, d’oueds, de cailloux, d’oiseaux de toutes couvées, ça fait beaucoup de ciel et de nuages
Te souviens-tu, Henri ? Ça fait beaucoup de sueur, de fatigue et de larmes, beaucoup de malheur et pas assez de joie, mais pour rien au monde je n’aurais voulu naître ailleurs."
Une famille de colons français bien implantée en Algérie, les « Saint-André », se trouve confrontée à la décolonisation du pays. Les membres de la famille, vivants et morts, expriment tour à tour leur vision des faits. La parole est également donnée à Fatima, la bonne à tout faire Kabyle, exploitée de façon odieuse mais qui ne quittera jamais la famille parce qu’elle ne sait pas où aller, sans famille ni connaissance. Son témoignage, au centre du récit, est troublant et révoltant. Tour à tour, on entend les voix de la mère et du père ainsi que celle des enfants. La mère est inflexible et sans cœur, aigrie par sa position d’épouse délaissée. Le père est un odieux colon qui passe ses soirées dans les bordels arabes et n’a aucune considération pour les algériens, qu’il exploite sans vergogne. Le couple a trois enfants, un fils qui se rangera du côté des algériens et deux filles qui finiront par fuir l’Algérie mais ne trouveront jamais le bonheur, l’une parce qu’elle n’assume pas son homosexualité, l’autre parce que la nostalgie de l’Algérie ne lui permettra pas de tourner la page.
On comprend aisément à quel point il a dû être difficile pour ces gens de quitter une terre dont ils s’estimaient les propriétaires. Mais qui étaient-ils au juste ? On découvre au fil du roman que leur intégration s’était faite par la force, qu’ils n’avaient jamais été les bienvenus sur cette terre difficile à exploiter et dont pourtant ils avaient fait des miracles. Est-ce que tous les colons se comportaient avec autant de mépris que les Saint-André vis à vis de la population locale ? Je préfère penser que non … Il ne faudrait pas s’imaginer pour autant que les algériens colonisés étaient des enfants de cœur. Certains passages du livre nous montrent qu'ils se rebellaient par des actes barbares inacceptables, que les colons réprimaient aussitôt de façon démesurée, créant une spirale infernale vers la violence. Le roman est dérangeant car il présente une vision des pieds-noirs assez terrible. De retour en France, les personnages du livre se montrent incapables de s’adapter à leur nouvelle vie et certains d’entre eux continuent à s’acharner contre les algériens, n’hésitant pas à persécuter ceux qui vivent en France. Mathieu Belezi dénonce les exactions des colons mais nul n’est épargné. Des atrocités ont été commises par tous les camps y compris par l’armée française qui n’hésitait pas à torturer pour obtenir des aveux, c’est bien connu.
L’écriture est singulière et peut surprendre, mais personnellement, j’ai immédiatement adhéré à ce style très personnel. Chaque phrase est marquée par un retour à la ligne et non un point. Certains passages sont en italique. Le personnage s’adresse alors dans sa réflexion à un autre membre de sa famille, parfois défunt. Le texte se lit comme une sorte de litanie, musicale et très rythmée. J’ai trouvé cette écriture assez remarquable.
Une fresque familiale et historique absolument passionnante, mais dérangeante.
Les avis de :
Antigone et Emmelyne (séduites) - Canel (n'est pas allée au bout) - Solenn (très mitigée)
corporate 23/07/2014 09:27
sylire 24/07/2014 06:37
Anjelica 28/05/2010 10:02
anjelica 26/05/2010 19:59
sylire 27/05/2010 22:26
Zorane 22/05/2010 14:30
sylire 27/05/2010 22:15
Marie 20/05/2010 08:36
sylire 21/05/2010 20:23