Folio (Gallimard 1960) - 391 pages
"Je n'entendais plus les rires, je ne voyais plus les regards moqueurs, j'entourais ses épaules de mes bras et je pensais à toutes les batailles que j'allais livrer pour elle, à la promesse que je m'étais faite, à l'aube de ma vie, de lui rendre justice, de donner un sens à son sacrifice et de revenir un jour à la maison, après avoir disputé victorieusement la possession du monde à ceux dont j'avais si bien appris à connaître, dès mes premiers pas, la puissance et la cruauté".
"La promesse de l'aube" est un roman autobiographique écrit par Romain Gary à l'âge de 44 ans. Il y raconte son enfance et sa jeunesse, marquées par l'immense amour entre sa mère et lui. Né en 1914 en Lituanie, Romain est arrivé en France à l'âge de sept ans. Sa mère Mina, d'origine russe, avait pour la France une admiration sans bornes. C'est donc dans le pays de Victor Hugo qu'elle voulait éduquer son enfant. Elle était persuadée qu'en arrivant en France, ce pays merveilleux, les difficultés qu'elle avait rencontrées en élevant seule un enfant feraient partie du passé. La déception sera à la hauteur de l'espoir. La France ne leur fera pas de cadeau, les émigrants russes n'étaient pas les bienvenus à Nice.
Romain nous raconte le personnage extravagant et extraordinaire qu'était sa mère. Courageuse, d'une volonté de fer, ni rien, ni personne ne l'impressionnaient. Romain ne manquera jamais de rien et prendra conscience très jeune du dévouement de sa mère pour lui. Il tentera toujours d'être à la hauteur de ses ambitions. Avec beaucoup d'humour et d'autodérision, il nous raconte ses déboires en matière d'apprentissage musical ou artistique et relate ses espoirs (tout à fait prématurés) en tant que jeune auteur en herbe.
Quand il monte à Paris faire ses études, c'est le temps des vaches maigres. Il ne veut plus demander d'argent à sa mère, qui en a déjà tant fait pour lui. Puis arrive la guerre, nous sommes en 1939. Il s'engage sans hésitation dans l'aviation militaire, où bien des déboires l'attendent, en raison de son statut de naturalisé. Il déserte l'armée pour entrer dans la résistance. Il sait que sa mère sera fière de lui s'il parvient à se comporter en héros, Mille fois, il manquera de mourir mais la mort ne l'arrachera pas à sa mère, omniprésente, dans son absence loin de lui. Il finira par obtenir la distinction de compagnon de la libération.
Tout au long de cette lecture, j'ai beaucoup pensé à mes enfants et en particulier à mon fils puisqu'il s'agit ici de l'amour entre une mère et son fils. Quelle mère aurais-je été, si je n'avais eu que mon fils à aimer ? Quelle femme serais-je aujourd'hui, si ne n'avais que lui ? J'ai presque envié, au cours de ma lecture, la proximité incroyable entre Romain et sa mère, me réjouissant toutefois que mon fils soit capable de mener sa vie sans penser constamment à moi. La tendresse de Romain à l'égard de sa mère, tout comme le point d'honneur qu'il met à ne jamais la décevoir, sont extrêmement émouvants. Mais si l'amour maternel a donné des ailes à Romain, elle l'a aussi fragilisé, d'une certaine manière, comme en témoigne le passage suivant, absolument poignant :
"Il n'est pas bon d'être tellement aimé, si jeune, si tôt. Ca vous donne de mauvaises habitudes. On croit que c'est arrivé. On croit que ça existe ailleurs, que ça peut se retrouver. On compte la-dessus. On regarde, on espère, on attend. Avec l'Amour maternel, la vie vous fait à l'aube une promesse qu'elle ne tient jamais. On est ensuite obligé de manger froid jusqu'à la fin de ses jours. Après cela, chaque fois qu'une femme vous prend dans ses bras et vous serre sur son coeur, ce ne sont plus que des condoléances. On revient toujours gueuler sur la tombe de sa mère comme un chien abandonné..."
"Je ne dis pas qu'il faille empêcher les mères d'aimer leurs petits. Je dis simplement qu'il vaut mieux que les mères aient encore quelqu'un d'autre à aimer. Si ma mère avait eu un amant, je n'aurais pas passé ma vie à mourir de soif auprès de chaque fontaine"
L'enfance de Romain Gary est passionnante, le regard qu'il porte sur la construction de l'homme qu'il est devenu l'est tout autant. Le texte est poignant mais j'ai ri plusieurs fois de l'excessivité de cette mère, dont il se moque gentiment. Les aventures rocambolesques du jeune Romain pendant la guerre prêtent également à sourire, parfois. Des épisodes tragiques sont également relatés.
Voilà bien longtemps que je n'avais pas été émue par un livre à ce point. J'ai relevé des tas d'extraits, j'aurais pu recopier tout le livre. L'écriture est somptueuse, il n'y a pas un mot de trop. Ce roman est vraiment une merveille et c'est en pensant à la mère de Romain que je finis ce billet. Qu'elle repose tranquille, son fils continue de lui faire honneur.
Un gros coup de coeur !
Lu dans le cadre du blogoclub dont le thème était l'amour maternel (on ne pouvait pas trouver meilleur choix pour ce thème).
Le thème prochain : une lecture libre autour de Patrick MODIANO
Les avis de : Lisa - Gambadou - Claire Jeanne - Nathalie - Denis - Grominou
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